mercredi 31 août 2011

Le petit Mercredi apolitique de gaets n°15 : Intuition asymétrique, ou comment déshumaniser le camp d’en face.


Inspiré par cet article. Je vous recommande le site qui va avec.

Peut être l’ignorez vous, mais l’homme est une créature sociale, il ne se débrouille pas très bien tout seul. Depuis l’époque où nous étions des australopithèques africains, nous avons la manie étrange de nous regrouper en tribus, le but premier étant évidemment de faire face au danger ensemble.
Mais la vie en communauté suppose un certain nombre de lois et de codes qui varient rapidement d’un groupe à l’autre ce qui entraine une culture et des moyens de prouver son appartenance différents. On pourrait s’imaginer que ce phénomène est restreint aux très petits groupes de société primitive et c’est en effet là qu’il est le plus visible, mais nous avons trainé avec nous depuis des millénaires l’une de ses conséquences les plus perverses, l’intuition asymétrique.

Il est assez difficile de se rendre compte à combien de groupes différents nous appartenons. Dans chaque interaction sociale se développe tôt ou tard une codification particulière, des rapports hiérarchiques et une conscience d’appartenance. Ce qui fait que nous sommes humains, occidentaux, européens, parfois bressans pour les meilleurs d’entre nous (ou savoyards, bourguignons ou bretons pour les moins chanceux), scientifiques ou littéraires, de gauche ou de droite, impliqués dans des activités et des groupes d’amis différents… Bref, vous voyez ou je veux en venir. Et l’appartenance à ces groupes va de pair avec un besoin atavique de défendre leurs identités face à leurs homologues ou antagonistes. Et cela passe d’abord par considérer "son" groupe supérieur aux autres. C’est exactement cela que l’on appelle intuition asymétrique : le fait de distordre la réalité pour trouver des qualités à sa tribu et des défauts à celles d’en face, puis de ce contenter de ces simplifications pour traiter avec les membres adverses.
De nombreuses expériences sociologiques montrent que ce phénomène est bel et bien inconscient et qu’il touche tous les groupes, pas juste les supporters de foot. On l’a beaucoup analysé dans les groupes de jeunes enfants mis en compétition, mais il permet d’expliquer de très nombreux comportements qui semblent puérils lorsqu’on est extérieur au conflit. En politique par exemple, où les systèmes bipartites sont toujours sur le dos l’un de l’autre pour ce qui nous semble des broutilles. Ou bien la réaction des spectateurs lorsque deux équipes s’affrontent. Ou encore la diabolisation de l’ennemi pendant et après touts les conflits, avec l’encensement du vainqueur qui va avec.
Je ne dis pas qu’il n’y a jamais de fond à ces débats, mais la certitude que son camp a raison et est le meilleur n’améliore pas la communication, en particulier lorsque tout le monde pense avoir des arguments concrets, non partisans et rationnels. L’intuition asymétrique nous met une immense poutre dans l’œil, et tout ce que nous pouvons voir est la paille dans l’œil du voisin, donc ne succombez pas à vos impulsions premières lorsqu’il s’agit de discuter des points de vu différents !

Le problème peut malheureusement devenir encore plus grave. Lorsque deux communautés s’accrochent sur  des points particulièrement importants, le processus d’intuition asymétrique peut carrément mener à la déshumanisation des adversaires et à un effet de croisade : ce qu’on appelle théoriquement une guerre "juste", mais qui n’en a que le nom. On en arrive à ce terme lorsque les rationalisations ne sont même plus nécessaires tellement la propagande a bien fait son travail de convaincre tout le monde de la supériorité d’un groupe sur l’autre. Les exemples de tels comportements sont monnaie courante dans l’histoire. Je vais juste en prendre un auquel on ne pense pas forcément : la supériorité américaine et anglaise de la 2nde guerre mondiale. On pourrait évidemment parler de l’idéologie allemande, mais ce serait trop facile.
La machine à endoctrinement a plutôt bien marché pendant cette période, et même si, en tant que vainqueurs de la guerre nous l’avons très largement oublié, la diabolisation de l’Axe a été féroce, jusqu’à la déshumanisation. Au hasard ? Hiroshima et Nagasaki, 2 bombes nucléaires, 600.000 morts civiles qui font de Harry Truman (très adulé dans son pays) l’un des plus grands criminels de guerre de l’histoire des USA. Oui, si la guerre s’était finie autrement, il serait sans doute devant un tribunal international. Rappelons aussi que du côté anglais les prêtres prêchaient la guerre sainte contre le démon allemand, et que l’on ne s’est pas gêné pour réduire des villes entières en cendre (comme Dresde, 300.000 morts civils).
 On pourrait encore en citer beaucoup d’autres, depuis le conflit israélo-palestinien, l’esclavagisme et les traites négrières, mais aussi la supposée supériorité intellectuelle française.

L’intuition asymétrique est un moyen de simplification formidable, il permet à la fois de  se rassurer sur sa place dans le monde et de coller des étiquettes à tout ce qui nous entoure (par exemple "ami" ou "ennemi"). Le problème c’est que ce n’est pas la vérité : le monde est complexe et les personnes qui y vivent encore plus. On ne peut pas traiter toutes les individus d’un groupe de la même manière sous prétexte qu’ils partagent quelques idées.
L’homme est désormais assez adulte pour ne pas répéter toujours l’erreur de voir le monde en noir et blanc. Considérez simplement que tout le monde est aussi compliqué (et complexé) que vous et cessez de juger à l’avance en fonction des cases dans lesquelles vous rangez les gens.

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