mardi 25 octobre 2011

Article express : l’homme complet ou les fausses joies de la spécialisation


Il existe désormais depuis de nombreuses années une tendance étrange et bizarre avec laquelle le monde entier semble en phase, mais qui va presque à l’encontre de ce que nous pouvons souhaiter pour nous-mêmes : il s’agit de la spécialisation. Elle intervient dans de très nombreux domaines, mais elle est le plus visible dans nos choix d’études et de carrières.
Notre système éducatif nous pousse dans les domaines où nous sommes doués. Ça peut sembler normal, quelqu’un doté d’un esprit analytique sera plus efficace à faire des maths qu’à comprendre la philosophie. Et c’est finalement cette façon de choisir ses matières que nous appliquons un peu partout ensuite : chercher où nous sommes doués et s’appliquer à devenir encore meilleurs, enfin toujours plus spécialisés.

Juste une petite remarque comme ça en passant : vous connaissez beaucoup de véritables utopies où la société est super spécialisée en différents métiers et classes ? Pas vraiment, hein. C’est même carrément le contraire, les dystopies ("le meilleur des mondes" au hasard) montrent toutes en général des réalités où la prédestination a rendu l’homme esclave, l’enchainant dès sa naissance à une place, un métier et un rôle.
C’est sûr, le monde occidental du XXIème siècle est loin du darwinisme social, mais lorsque l’on s’imagine une société idéale, et par là même des humains idéaux, est ce qu’on ne se représente pas exactement le contraire d’humains spécialisés ? Je vois plutôt le monde futur peuplé de gens ayant des connaissances sur tout, pouvant aussi bien parler philosophie, physique, économie ou histoire.
Ce sont ces mêmes problèmes qui produisent aujourd’hui des scientifiques très forts dans leurs domaines extrêmement pointus mais qui sont incapables de s’intéresser à autre chose, voir qui considèrent tout le reste comme non digne d’intérêt.

Nous devrions mettre en place exactement le contraire de ce que nous faisons actuellement avec nos enfants : les pousser dans des domaines qu’ils n’apprécient que moyennement, ou dans lesquels ils n’ont pas de facilités. De même qu’on ne laisse pas un muscle s’atrophier sous prétexte qu’il ne nous sert pas trop pour l’instant, l’intelligence humaine et les connaissances qui lui sont liées représentent un corps complet dont il ne faut négliger aucun aspect.

Les hommes ne sont pas des outils spécialisés qu’il faut affuter et ranger dans les bonnes cases de l’atelier de la société. 

mercredi 5 octobre 2011

Le petit Mercredi apolitique de gaets n°17 : Enfants de la nuit


J’ai lu (ceci) à propos d’une question intéressante il y a quelques jours : le débat sur les premières formes de sociétés primitives et principalement sur la pression extérieure ayant poussée les hommes à se regrouper.
Plusieurs théories s’affrontent, la plus répandue voudrait que les tribus d’australopithèques se soient formées autour de l’idée de la chasse, ou plus exactement autour du sentiment de faim. Ça parait assez normal, la chasse coordonnée permettant d’attraper des proies plus grosses ou plus dangereuses, en réduisant les risques. D’où une jolie histoire où les petits êtres humains dépérissaient loin les uns des autres, avant de se regrouper autour d’un festin de mammouth (ce qui est faux, au passage, le mammouth ne vivait pas en Afrique centrale il y a 4 millions d’années). C’est touchant et très sympa sociologiquement, un passé où nous nous sommes regroupés pour partager, et cela nous donne aussi une image de chasseurs-cueilleurs de nos aïeuls. C’est aussi très très faux.
Le processus d’imagination menant à la mise en place d’un groupe de chasseurs travaillant ensemble va bien au-delà des maigres ressources de nos ancêtres simiesques, et surtout ne relève pas d’un impératif inné. Essayer de faire comprendre à un animal qu’il doit partager sa pitance est impossible, comment s’imaginer que ce type d’organisation est apparu tout seul ? La faim est un élément diviseur dans un groupe primitif, pas unificateur. De plus, n’importe quel grand singe est en mesure de se nourrir seul, pourquoi dès lors se coltiner une ribambelle de boulets qui piqueraient dans son assiette ?

Non, la première pression ayant regroupée les hommes est à la fois beaucoup plus simple et moins romantique. Et surtout elle répond au besoin le plus naturel qui soit : celui de dormir. Et oui, 6 à 8 heures de sommeil dans la nuit noire d’une savane remplie de prédateurs a quelque chose d’un peu flippant. D’où la nécessité d’assurer des tours de garde contre la multitude de choses aux dents pointues rodant dehors. Ce qui a poussé les hommes ensemble, c’est la peur de la nuit ! C’est à la fois risible lorsqu’on vit dans nos sociétés où c’est bien le dernier de nos soucis, et flippant de se rendre compter que la première organisation sociale fut basée sur un sentiment de terreur.
(Saturday Morning Breakfast Cereal !)
La société humaine est l’enfant de la nuit. Ce qui a pour effet un certain nombre de conséquences évidentes :
-      - Les premières sociétés étaient de modèle militaire : pas des chasseurs-cueilleurs mais des adjudants et des troufions. Et pas la version mignonne de la hiérarchie moderne, mais celle brutale d’une peuplade primitive.
-         - Les leaders de seconde génération furent religieux et ils sont apparus très tôt, là aussi à cause se la nuit. Une fois une organisation militaire mise en place pour la garde, il a fallut en effet s’occuper des autres peurs découlant du sommeil et des rêves, comme celle de la mort. Ce qui est donne au passage le rôle des parents dans une cellule familiale : protection physique pour le père, et spirituelle pour la mère. Et oui, les premières autorités religieuses étaient sans doute des femmes. Toujours intéressant dans nos monothéismes patriarcaux actuels…  

Une autre question que l’on peut se poser est que reste-il de cette première peur et de ces conséquences ? Les enfants ont pour beaucoup encore cette peur de l’obscurité et des monstres qui la peuplent, quelque chose qui ressemble pas mal à ce que devaient ressentir nos ancêtres dans la savane. Du coup ce sentiment semble atavique. Et que font-ils dans ces cas là ? Chercher la présence et la protection paternelle ou maternelle, bref la tribu la plus proche. Donc, contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer, nous ne sommes pas encore débarrassés de cette peur primitive.
Le plus important ici est bien de se rendre compte que la société humaine s’est formée autour du sentiment de peur (peur de la nuit, de la mort et de l’inconnu en général), et donc la psyché, la culture et les interactions de l’humain moyen moderne découlent de ce fait. Il est tout à fait possible que nous ne soyons pas naturellement sociaux, voir au contraire égoïstes et solitaires, et que ce soit nos frayeurs qui nous poussent les uns vers les autres. Et contrairement à ce que les phrases précédentes laissent penser, ce n’est pas triste ou pathétique : la société humaine comme lumière au milieu d’un océan noir de peurs primitives, c’est plutôt un chouette accomplissement !