lundi 21 juin 2010

Le petit Mercredi politique de gaets n°6 : Fucking Reification

Pas de panique, à moins d’être informaticien ou marxiste, personne ne connaît ce terme. Perso, ça fait tout juste une semaine.
Une petite définition pour commencer, donc.
Réification : nf, la réification consiste à transformer ou à transposer une abstraction en un objet concret, à appréhender un concept, comme une chose concrète.
Un mal relativement commun, donc. En particulier chez nos amis les scientifiques.

Un exemple très parlant permet de se rendre rapidement compte des pièges de la réification. Attention, un peu de méca. Pour tous les allergiques, détournez le regard. Prenez un objet lancé sur une trajectoire parabolique. Deux grands théorèmes permettent de déduire son mouvement. Le premier, découlant des lois de Newton, associe à l’objet une inertie et une masse et en déduit son mouvement. Le second est un théorème plus général appelé le principe d’action minimum. Il consiste à envisager toutes les trajectoires possibles de l’objet et de trouver celle qui minimise une quantité mathématique appelée l’action. Les deux principes sont totalement équivalents et "fournissent" la même réponse.
Les problèmes commencent à pointer leur nez quand, en prenant ces théorèmes au pied de la lettre, on essaye de les réifier. Le premier implique que l’objet suit une trajectoire en fonction de ces deux valeurs qui représentent en fait ce qu’est l’objet (sa masse) et ce qu’il a fait avant d’arriver à ce point (son inertie). Pas de soucis, ça colle à peu prêt avec ce qu’on considère comme la "vérité". Mais voilà, réifier le principe d’action minimum consiste à penser que l’objet envisage tous les trajets et, grâce à ses talents de supercalculateur, choisit le bon trajet. On donne donc à notre objet (un caillou, une chaussette ou l’écran d’un informaticien énervé) non seulement des talents analytiques, mais aussi une pseudo conscience.
Sans doute pas ce que le commun des mortels pourraient considérer comme une réponse satisfaisante, mais quand on est un scientifique, ce genre de petits décalages avec la réalité n’est pas trop embêtant.

Evidemment, ceci est un exemple relativement voyant. Personne ne défendrait ce genre d’absurdité. Mais d’autres réifications abusives se sont glissées insidieusement dans les connaissances populaires.
Par exemple, la présence d’univers parallèles. Perçu par pas mal de physiciens comme la vérité, très largement popularisée par le cinéma, cette hypothèse provient sans doute d’un abus de la physique quantique. Comme la plupart des réactions au niveau quantique sont probabilistes (il y a autant de chances que quelque chose arrive plutôt qu’autre chose), certains mathématiciens ont construit un "espace de phase" où tous les évènements se sont réalisés, ergo une multitude d’univers "parallèles". Par extension, nous pensons que chacune de nos actions est soumise à le même loi et qu’il existe une multitude d’endroits où tous nos choix se sont réalisés.
Mais cet espace de phase n’a pas de réalité physique, c’est un pur outil mathématique. Les univers parallèles n’existent pas (désolé pour Schrödinger et Pavlov, mais il n’y a pas d’univers où ils ne sont pas des bourreaux d’animaux). Penser que de tels mondes où tout est différent nous entourent, c’est réifier un concept. Et c’est aussi très anthropocentriste. L’univers ne tourne pas autour des choix des hommes, quoi qu’Hollywood en pense.

Faire la part des choses entre ce qui est juste scientifiquement et ce qui est vrai n’est pas toujours chose aisée. Mais la réification frappe encore plus lorsqu’elle est utilisée en sciences sociales et économiques. Réussir à transformer un concept comme le libre marché en une réalité tangible comme la bourse est un tour de force incroyable du monde moderne. Et la déshumanisation des moyens de productions (nous) et des relations sociales entre les personnes fait parti de ce processus de réification du capitalisme (vive Marx).

La réification est un piège immense dans toutes les sciences. Un concept qui est juste sur le papier ne traduit pas forcément (voir rarement) la vérité du monde. Une bonne dose de sagesse est nécessaire a l’application du savoir. Et oui, la science a parfois tort, même quand elle a raison.

mardi 1 juin 2010

Le petit Mercredi politique de gaets n°4 : David & Goliath

Petit repostage d'actualité.

La situation au Moyen Orient a toujours été une belle pagaille. Depuis 1948 et la création d’Israël, on ne peut pas dire que la paix ait été très présente dans la région. Le fait de vouloir représenter ce conflit comme une guerre de religion, ou un combat entre le beau et démocratique Occident contre le barbare et moyenâgeux Orient, n’ai qu’un joli effet d’étiquettes à peine capable de camoufler la complexité des faits.
La première chose à se mettre en tête en parlant de ce conflit, c’est que, d’un certain point de vu, il est religieux. Pour les Palestiniens, comme pour les Israéliens, la religion d’état est plus qu’un simple fait. Avoir des parties politiques ultra-orthodoxes ou islamistes (dont les idées sont étrangement proches, en particulier sur la condition de la femme) ne surprend personne, sauf dans la vieille Europe, où la laïcité des gouvernements est devenue un fait établi. Si ce conflit s’est envenimé, une part des responsabilités peut en être imputée à ces partis religieux, qui ne cessent de réclamer l’annihilation de leur voisin. Le genre de théorie de complot qu’ils peuvent inventer est effarant. Dans le désordre, citons la conspiration juive derrière l’affaire Lewinsky, dans le but de déstabiliser Clinton, le premier président américain à vouloir reconnaitre la Palestine, ou encore la supposée islamisation des pays occidentaux, en particulier depuis l’élection de Barack "Hussein" Obama…

Ensuite, le conflit en lui-même prend des tournures très différentes selon de quel côté de la frontière on se trouve. En Palestine, le terrorisme est devenu l’un des derniers moyens d’expression. Beaucoup d’israéliens (et d’occidentaux) ne veulent voir dans le terrorisme que la folie, la barbarie aveugle et le résultat des luttes de pouvoir entre groupes (c’est à celui qui fera les plus grands massacres). Le terrorisme traduit la souffrance d’un peuple. Les gamins de 15 ans qui se font sauter au milieu des places de Jérusalem ne sont pas les "méchants" à opposer aux "gentils" soldats israéliens. Voilà ce que dit Louise Richardson, irlandaise, presque membre de l’IRA à 14 ans (donc elle sait de quoi elle parle), aujourd’hui rectrice de l’académie de St Andrews et l’une des plus grande spécialiste mondiale du terrorisme : “Dans le processus de radicalisation, il n’y a pas de différence fondamentale entre les terroristes et le commun des mortels. Ce sont des gens comme vous et moi. Et, très souvent, ce sont des idéalistes. […] Le terrorisme est une tactique, et la terreur une émotion. Aussi cela n’a-t-il aucun sens de déclarer la guerre à l’un comme à l’autre." Beaucoup pensent que tenter de parler avec les terroristes, comprendre leur motivations et essayer de remédier aux problèmes qui les ont poussé sur cette voix, c’est collaborer. Ce discours a été répété des centaines de fois par les parties au pouvoir aussi bien en Israël qu’aux USA (où pendant un bon moment, discuter des décisions de Bush était considéré comme faire le jeu des terroristes). C’est pourtant le seul moyen d’empêcher la radicalisation d’un conflit comme celui qui se joue au Moyen Orient. Et la seule façon d’y arriver, c’est à travers la génération la plus jeune : l’éducation et la cessation des représailles sur les civils sont les seules choses qui empêcheront de nouveaux kamikazes de se présenter.
Pour ce qu’y est d’Israël, j’ai toujours pensé que la plupart des torts revenaient au plus fort des deux protagonistes, qui devrait (théoriquement) être plus responsable et montrer l’exemple. Mais je suppose que c’est assez naïf comme point de vu. On ne peut pas dire que les caprices américains et leurs attaques de cibles sans preuve soient vraiment de bons exemples aux yeux du monde. L’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, appuyé par le parti russophone et les ultra-orthodoxes (on se demande comment ces deux derniers ont fait pour s’entendre) ne promet pas grand-chose de nouveau. Les deniers discours du gouvernement israéliens ne sont que pour rappeler que les palestiniens ne sont que des animaux et que la vie d’un juif vaut plus que celle d’un goy (et en particulier si ce dernier est musulman). Comment vouloir régler un conflit lorsqu’on ne reconnait même pas l’humanité de ses voisins ?
Quand à l’absence de réaction de la communauté internationale (et en particulier de l’ONU), je pense que ça vient surtout de cette absurdité de conseil de sécurité et du droit de veto de chacun de ses membres (et évidemment, des USA qui ne voteront jamais pour une intervention). Les reliques de la guerre froide continuent de nous pourrir la vie. Même les décrets de l’ONU ne sont pas appliqués. Le fameux mur entourant la Palestine a été déclaré 3 fois hors la loi et il continue d’être construit ! C’est un bel exemple d’une nation qui se veut résolument intégrée au monde que de refuser d’appliquer les décrets de la communauté internationale. Le désarmement du Hezbollah ne semble plus à l’ordre du jour non plus. Il semble que cet absence de réaction de l’ONU provienne un peu d’un sentiment mondial à la fois de honte et d’obligation envers le peuple juif (assez justifié, mais il ne faut pas que ce soit à l’encontre d’un autre de peuple).

Il n’y a pas grand-chose qui soit aujourd’hui en mesure de stopper aussi bien les attaques terroristes que les répliques sanglantes. Tant que ces actions seront "légitimes" ou tout du moins justifiées aux yeux d’un peuple comme de l’autre, il semble difficile d’établir une paix durable. Certaines voix commencent cependant à s’élever d’un côté comme de l’autre, principalement chez les israéliens, pour demander pardon pour les atrocités commises. Tant de haines accumulées sur plus de deux générations ne vont pas s’envoler du jour au lendemain, et il est vraiment dommage qu’une coalition droite - extrême droite se retrouve au pouvoir en Israël. Il ne reste plus qu’à espérer que les actions du genre de celle de Daniel Borenboïm et de son "West-Eastern Divan Orchestra" se multiplieront (ici).


Quelques ajouts de dernière minute au vu des informations du jour.
S’engager dans un processus de paix a toujours été risqué, surtout avec un passif aussi lourd que celui qu’ont accumulé les différents protagonistes. Or aucun des principaux acteurs (israélien, palestinien, syrien) ne semble être prêt aujourd’hui à se mettre dans une situation dangereuse.  De plus, les décisions importantes ne peuvent être prises que par des responsables puissants et respectés (dans leur camp, comme à l’étranger). Là encore, pas d’éclaircies à l’horizon, en particulier lorsqu’on sait que les prochains enjeux discutés sont immenses (Jérusalem, les frontières, les réfugiés) par rapport aux percées diplomatiques antérieures.
On pourrait espérer une plus grande implication américaine, mais plusieurs facteurs font plutôt penser à une mise à l’écart intentionnelle. La réputation internationale de négociateur de Washington est enterré (après deux guerres unilatérales sans précédents diplomatiques, on pouvait s’y attendre), et son image de superpuissance ne fait plus trembler le monde. Ensuite les contingences politiques américaines (les midterms) interdisent une trop grande implication du gouvernement en place sous peine de perdre le vote en cas d’échec diplomatique.
Enfin les Etats-Unis ne peuvent pas imposer la paix à des protagonistes qui n’en veulent pas. Et il semble que les gouvernements actuels du Moyen Orient ne soit pas très pacifiques : entre la coalition israélienne extrême-droite russophone/ ultra-orthodoxes et l’autorité palestinienne minée par le Hamas, on a de quoi se faire des cheveux blancs.
Il est à craindre que l’incident de la flottille humanitaire ne soit qu’un débordement supplémentaire de Tsahal caractéristique d’une escalade qui finira encore une fois par une opposition attentats suicide contre blindés.
Je suis généralement un optimiste mais la crise israélo-palestinienne semble être un sac de nœuds inextricable.