jeudi 18 août 2011

Le petit Mercredi apolitique de gaets n°14 : Anthropocène

Du grec anthropos (être humain), ce terme fait référence à la nouvelle époque géologique dans laquelle est entrée notre planète depuis que l’influence de l’homme serait devenue la force prépondérante de la géophysique du système terrestre.  Selon les théories (le terme a été inventé par Paul Crutzen, prix Nobel de chimie), cette époque commencerait soit avec la révolution industrielle du 18ème, soit avec le début de l’extinction des grands herbivores due à la surchasse il y a 18000 ans.
Cela peut sembler étrange de nommer une époque géologique d’après une espèce. Cependant, il est évident que certains organismes ont très largement modifié la composition ou la géologie de la planète. Et que certaines espèces ont elles-mêmes été responsables d’extinction de masse par leur action sur la biosphère.

Un exemple ? Les cyanobactéries. Parmi les premières formes de vie sur terre (3.8 MM d’années), elles ont littéralement bouleversées tout ce qui s’y trouvait à l’époque. Ces petites bactéries procaryotes sont les premières à réaliser la photosynthèse, et pendant 1.4 MM d’années, elles vont remplir les océans d’oxygène. Tout cela était très bien tant que les mers étaient pleines de fer, celui-ci réagissant avec l’oxygène (c’est ce qu’on appelle la « Grande Oxydation ») pour créer des dépôts de fer rubané (que l’on exploite partout dans le monde aujourd’hui). Mais à -2.4 MM d’année, tout le stock de fer des océans est épuisé, et l’oxygène se répand sous forme gazeuse dans les océans et l’atmosphère, ce qui pourrait sembler être une bonne chose. Ça dépend pour qui : toutes les autres bactéries de l’époque sont anaérobies, ce qui signifie que l’oxygène est un poison pour elles. C’est la première crise écologique terrestre. Il est assez difficile d’établir des chiffres précis pour un évènement aussi lointain, mais les spécialistes s’accordent à dire que 85 à 90% de la vie terrestre s’éteint à ce moment là.
Evidemment, pour nous, le rôle de ces organismes est plutôt positif : diminution du taux de CO2 jusqu’alors toxique, diminution de l’acidité des océans (c’est l’histoire du fer), création de la couche d’ozone et donc vie possible sur les continents et plus seulement sous l’eau, et surtout création de l’oxygène gazeux qui a permis l’apparition des espèces aérobies (dont nous). Mais les effets de la vie de cette petite bactérie ont changé aussi bien l’écosystème que la composition même de l’atmosphère, des océans et des couches géologiques.

Bon, il n’existe pas d’exemple plus extrême que celui-ci dans l’histoire terrestre ancienne. Mais il est arrivé très souvent que l’apparition d’une nouvelle espèce entraine la fin d’une ou plusieurs autres moins bien adaptées ou liées à celle-ci d’une quelconque manière. Les dinosaures herbivores du crétacé ont du par exemple survivre à l’arrivée des angiospermes (les plantes à fleurs) qui ont largement et très rapidement remplacés leurs cousins fougères et conifères. Ils ont mis quelques millions d’années à s’adapter à ce nouveau type de fourrage et laissé derrière eux une bonne centaine d’espèces qui apparemment n’appréciant pas les tulipes.

(yuumei on deviantArt)
Par contre, il y a une espèce contemporaine qui est déjà responsable de pas mal de disparition d’espèces et qui pourrait entrainer la terre vers une sixième extinction planétaire majeure. Vous voyez où je veux en venir ? Nos très cher paléontologues/biologistes/naturalistes pensent que nous sommes désormais à la limite holocène-anthropocène, qui sera marquée, comme toutes les autres limites d’époques géologiques, par une grande catastrophe pour la biosphère.
On évalue aujourd’hui que 40% des animaux et 70% des plantes sont menacés de disparaitre, que ce phénomène est en accélération et qu’il possède déjà une vitesse très supérieure aux cinq autres extinctions (dont plusieurs sont dues à la chute de météorites quand même, ou à des explosions de supernovae d’après les dernières théories). Oui, avec nos petits moyens, nous avons un potentiel de destruction de la vie terrestre supérieur à des évènements cosmiques. Très encourageant…
())Mais l’impact de l’humanité sur la terre va encore plus loin et certaines de nos actions risquent fort d’être irrémédiables, contrairement à la sagesse populaire qui s’imagine que la vie continuera sans nous. La nature a mis des milliards d’années à enfouir le carbone au fur et à mesure que la terre la rejetait et nous sommes en train de le remettre entièrement en liberté en brulant des hydrocarbures en à peine 200 ans. Nous avons même réussi à percer la couche d’ozone grâce à nos géniaux cfc. Rappelons que si le fameux trou d’ozone n’avait pas eu la bonne idée de se former au dessus des pôles (ce n’est pas un hasard, plutôt une histoire de thermodynamique), la région dépourvue de protection aurait été irradiée par des UV de hautes énergies (UV-c) et toute vie y aurait été détruite. De plus l’écosystème terrestre est composé d’engrenages délicats, et de beaucoup d’interconnections. Il est possible que nous en ayons déjà sapé irrémédiablement les fondations et que tout le bâtiment s’écroule bientôt.

L’immense différence entre nous et les autres espèces qui ont été à l’origine de la disparition de leurs congénères, c’est que nous sommes conscients (pas depuis très longtemps, mais bon…) de ce que nous faisons.  Ce qui devrait théoriquement nous pousser à changer les choses. Et, par un coup de chance incroyable, il se trouve que notre intellect de singe nous permet de faire aussi bien dans la destruction que dans la création et la préservation. Des idées plus ou moins folles ont vu le jour ces dernières années pour tenter d’inverser (ou tout du moins de tempérer) l’impact de l’homme sur la terre.
Dans le désordre :
-          les différents moyens de stockage du CO2, comme la dissolution avec des oxydes de fer dans les océans qui serait une véritable catastrophe pour la vie marine (mais bon, si ça nous permet de continuer de polluer l’atmosphère un peu plus longtemps ?). Ou encore l’enfouissement dans les anciens puits de pétrole, ou carrément l’envoi en orbite. Dans tous les cas, ce sont tous des projets pharaoniques, qui vont de la création d’usines automatisées sous-marines à la mise en place d’un ascenseur spatial.
-          La terraformation d’autres planètes/astéroïdes/lunes. J’en ai déjà parlé, donc je ne m’éternise pas là dessus, mais il est certain qu’une multitude de foyers de vie disséminés dans l’espace réduiraient d’autant les chances d’une extinction globale.
-          Le projet du génome de la biosphère ou la version moderne de l’arche de Noé. Le but, en plus de l’immense bénéfice scientifique, est d’enregistrer l’ADN de chaque espèce afin de pouvoir recréer celles-ci même si elles venaient à disparaître. Sans doute l’un des projets les plus gigantesques de l’homme, que l’on verra aboutir dans notre génération ou la suivante.
-          Les multitudes de projets d’énergies propres, des parcs éoliens aux miroirs solaires orbitaux, en passant par ITER. Personnellement, je pense qu’il n’y en a que ce dernier qui pourra avoir un impact significatif, mais après les mésaventures du nucléaire civil (que je  trouve très exagérées), il semble que ce ne soit pas celui qui est le vent en poupe.

Les problèmes qui découlent de la présence humaine au milieu de la biosphère ne manquent pas, mais même si l’on est un vrai catastrophiste (comme moi), on ne peut pas oublier que de multiples solutions existent. Le plus gros problème est de choisir la ou les solutions que nous mettrons en place au milieu de la foultitude qui seront proposées. Et de le faire en toute conscience, pour de bonnes raisons, en pensant aux générations futures, et pas juste pour sauvegarder notre mode de vie égoïste et destructeur.
L’anthropocène est l’ère de l’homme. A nous de donner un sens à celle-ci et de faire en sorte que cela ne devienne pas synonyme d’extinction de la vie sur Terre.

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